Et la délicatesse ? … Bordel !

Dans tous les moyens de transports accessibles aux personnes à mobilité réduite existent des places dédiées, sensées être pratiques et garantissants l’accès en fauteuil. En théorie. En pratique ce n’est pas toujours si simple. Dans les tramways strasbourgeois par exemple ces emplacements sont situés dans le sens de la marche, le long d’un côté, en première et dernière rames, là où sont également autorisés les vélos. Souvent pour accéder à ces places il faut faire déplacer la moitié des passager de la rame, pousser les vélos, enlever les poussettes et les caddies, tout ça pour être dans le sens de la route (que je n’aime pas) et devoir recommencer à bouger tout le monde cinq arrêts plus loin. J’ai donc pris l’habitude de me caler en bout, tout près de la cabine, où je peux me tenir à la poignée centrale et ne faire sortir que les deux ou trois personnes derrière mois lorsque je dois reculer. Forcément en étant à cet endroit j’occasionne une gêne relative même si je prends soin de laisser un passage. Mais j’encombre tout autant en me mettant à la place qu’on me réserve vu la taille de ma charrette. Tout ça pour dire que si je n’utilise pas ces emplacements spécifiques ce n’est en aucun cas par esprit de rébellion ou de contradiction mais bien parce que c’est plus simple pour moi.

Image d’un tramway à Strasbourg prise sur : http://www.rcstrasbourgalsace.fr/actualites/12475

Il y a quelques temps j’ai pris le tram et me suis installée dans mon petit coin. Une femme est montée à l’arrêt suivant et s’est enfilée dans l’espace entre le bout de la rame et moi. Elle a tout de suite fait remarquer aux personnes qui étaient sur les places réservées qu’elles auraient dû se pousser. Elle était dans mon dos et je ne voyais pas son visage. Je lui ai répondu que je n’avais pas demandé, que je préférais être à cet endroit. Et là ça a été une déferlante, elle a déversé sur moi un flot de colère auquel je ne m’attendais pas : « Vous avez des places spécifiques vous devez les utiliser ! », « Si vous ne respectez rien ne vous étonnez pas qu’on ne vous respecte pas ! », « Vous les handicapés vous vous croyez tout permis ! ». Je ne me suis bien entendu pas laissée faire, je lui ai répondu que si ces places existent je ne suis pas pour autant obligée de les utiliser, qu’elle a pour s’installer le tramway tout entier et qu’il lui suffirait de faire trois pas pour être à une meilleure place, qu’elle n’avait pas à me parler sur ce ton et passer sur moi sa mauvaise humeur.

Une fois la joute verbale terminée nous avons continué le trajet l’une contre l’autre, dos à dos, campées chacune sur nos positions sans vouloir lâcher, elle en allant s’assoir un peu plus loin, moi en avançant de quelques centimètres. Elle est descendue deux arrêts plus loin et j’ai pu voir son visage, fermé, tendu et comme je l’avais ressenti dans ses propos, animé d’une profonde colère.

À la station suivante je suis sortie la gorge nouée pour me rendre à la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) où je suis allée retirer en urgence un dossier qui prouvera que je suis toujours en situation de handicap et ce pour la sixième fois en vingt ans. En moyenne j’ai eu à réaliser cette démarche tous les 3,33 ans. À l’accueil j’ai souri à celle qui m’avait aimablement renseignée la veille par téléphone, je l’ai remercié de m’avoir préparé le dossier, facilitant ainsi sa prise en compte et je suis partie en souhaitant une bonne journée aux personnes présentes. Celles et ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas irrespectueuse. Je suis même tout l’inverse, je fais la queue comme tout le monde aux caisses prioritaires et je ne me gare pas sur une place réservée si je reste dans la voiture. Je ne profite pas de ma situation.

J’ai repris le chemin du tramway les larmes aux yeux, rejouant sans cesse le dialogue surréaliste que j’avais eu avec cette femme. J’en suis même venue à me demander si ces places ne sont pas obligatoire finalement. J’ai cherché sur internet le règlement de la CTS (Compagne des Transports Strasbourgeois) et l’article me concernant stipule ceci : « Les fauteuils roulants sont autorisés aux emplacements réservés à cet effet et sont prioritaires. » Cela sous-entend donc qu’ils ne sont pas autorisés ailleurs. Merde alors elle avait raison. Pourtant j’ai déjà été controlé en plein milieu du tramway, absolument pas au bon emplacement, sans qu’on ne me reproche quoi que ce soit. Il fallait que j’en ai le coeur net ! J’ai envoyé un message à la CTS qui m’a répondu ceci : « Si la place est libre, il est préférable de prendre cette place. Si elle est déjà occupée par un fauteuil roulant, vous pourrez vous placer ailleurs, dans la mesure où vous ne gênez pas le passage. »

C’est donc juste, je n’aurais pas dû être à cet emplacement puisque l’espace qui m’est dédié était libre. Je prendrai donc soin de m’y installer à chaque fois que cela sera possible. Pourtant bien que je salue le fait que cette place existe, quelque chose me gêne dans l’obligation de m’y mettre. D’abord parce que si les sièges juste à côté sont pris, je ne peux pas être près des personnes qui m’accompagnent. Par exemple en emmenant les lionnes à la gare aujourd’hui, j’ai voyagé sans les voir car elles sont restées derrière moi. Pas très rassurant pour la parano que je suis de ne pas avoir l’oeil sur elles. Ensuite parce qu’il y très très très souvent des personnes installées à cet endroit, et que si certaines font preuve de civisme, la plupart n’en ont rien à faire de moi. Oreillettes ou casques sur les oreilles, il faut presque leur monter dessus pour les déloger. Ce n’est pas dans ma nature de déranger les gens, je suis plutôt réservée et je dois me faire violence pour oser demander. Enfin il y a des moments où même avec la meilleure volonté du monde je ne pourrais pas accéder à ces places; trop de monde, trop de vélos, trop de personnes avec des bagages, des poussettes, des courses. Je dois bien me caser quelque part et souvent je gêne. Il est toutefois toujours possible d’entrer ou sortir par la porte suivante, à trois mètres mais il semble que ce soit vraiment compliqué pour certain-e-s. Et puis j’estime aussi être libre de me mettre où je veux dans la mesure où je laisse le passage. Comme je l’ai dit c’est vraiment très bien que des places nous soient réservées mais je ne peux pas m’empêcher de me sentir frustrer de n’avoir pour me garer que six mètres carrés dans ces longues rames, de devoir être tout au bout avec les vélos. Cela na rien d’un caprice, c’est un élan de liberté, dans un monde qui nous est encore trop hostile.

J’ai beaucoup repensé à cette femme et je sais très bien que bons nombres de mes concitoyen-ne-s partagent ses idées. Les personnes handicapées sont exigeantes, irrespectueuses, se croient tout permis. Sans aucun doute qu’il en existe de pareilles, après tout on peut être handicapé-e et con-ne.

Ce que je remarque c’est qu’à force de renoncements, d’obstacles, de privations, certaines personnes en situation de handicap peuvent devenir aigries. Et qui ne le serait pas ? Je ne vais pas vous faire la liste de toutes les difficultés que nous rencontrons au quotidien, ce serait trop long et ça me démoraliserait, mais je peux vous assurer qu’aucune personne valide ne tolérerait ce que nous vivons sous prétexte que ce n’est pas adapté pour elle. Imaginez un monde où vous seriez la seule ou le seul à entendre et dans lequel l’unique moyen de communiquer serait la langue des signes. C’est vrai qu’il est difficile de se mettre à la place de l’autre, surtout quand la situation ne fait pas rêver, mais un brin d’empathie ne fait pas de mal.

Bien entendu je n’excuse pas pour autant les comportements extrêmes, dans un sens comme dans l’autre. Cette femme n’était pas en droit de m’agresser, comme je n’ai pas à agresser quelqu’un qui serait assis à « ma » place. D’un tempérament mesuré, je fais le pari du dialogue et de la concertation, même si je vous avoue être souvent découragée par la lenteur du système, le peu de considération dont nous faisons l’objet et ces regards encore trop difficiles à vivre.

Je crois qu’il y a un juste milieu à trouver pour réussir à mieux vivre tous ensemble. Un compromis entre celles et ceux qui en font trop et les autres qui s’en foutent royalement. Un équilibre où je ne serais plus une bête curieuse mais un être humain qui mérite un plus d’attention que d’ordinaire.

En attendant des jours meilleurs je souhaite, comme à mon habitude, terminer ce billet sur une note positive. Je vais remercier cette agent SNCF chargée de l’accueil des enfants, lui signifier toute ma gratitude pour m’avoir accueillie en tant que maman, en ne faisant aucun cas de mon handicap qui l’a pourtant obligé à modifier ses habitudes. Vous allez me dire « c’est normal ». Oui mais ce n’est pas courant. Cette femme est une rebelle sans aucun doute !

Aujourd’hui, c’est la délicatesse qui est révolutionnaire.

Radovan Ivsic


9 réflexions sur « Et la délicatesse ? … Bordel ! »

  1. Je viens de faire l’expérience de multiples transports en PAM , service Parisien pour les personnes a mobilité rduite , il s’agit de véhicules dans lequel on entre par une rampe arrière , le fauteuil est fixé par des sangles a l’intérieur . J’ai la chance d’avoir la liberté de conduire mon véhicule perso chez moi , je n’avais donc jamais expérimenté ce type de transport . Au premier trajet un monsieur tout bonnement adorable avec qui j’ai echangé avec plaisir , pour le second … j’ai été mal attachée , mon fauteuil a commencé a basculer a arrière ( je passe le détail des réflexes inadaptés et donc des doigts qui se claquent sur les vitres du fourgon ..AIE too much ) , et bien il a eu beau resserrer , « non vraiment votre fauteuil il est spécial , tant pis , on va avancer comme ça  » . Je me suis sentie une vache dans une bétaillère , j’ai subis …et ça , ben ça fait pas trop de bien au moral .
    Pour venir a Paris j’ai osé le blablacar , et j’ai trouvé un garçon assez culotté pour accepter d’attendre mon transfert avec la planche , démonter le fauteuil et le caser dans son coffre , il avait 2 autres passagers a prendre ;) , c’était chouette , normal .
    Donc parfois c’est simple …parce que les personnes que nous rencontrons ont juste du bon sens , du pragmatisme , ne se font pas des noeuds dans le cerveau , ne sont pas gênées , et c’est bon , ça se savoure de se sentir femme , mère , citoyenne , tout simplement .

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  2. Tu dis que tu t’es faite controler plusieurs fois à un emplacement différent de celui qui t’est réservé et que cela ne t’a jamais été reproché. Je suis donc d’avis que tu peux donc continuer de t’y mettre. La personne de la CTS qui t’a répondu a répondu selon les règles, le réglement très stricte, une réponse très officielle, bornée. Les controleurs eux y rajoutent de l’humain, voient les contraintes de l’emplacement, le confort du tien. La tolérance du réglement (pour se mettre à un autre endroit si déjà fauteuil) montre bien l’imbécilité du truc, ce n’est donc pas une affaire de sécurité. (NB : la première chose que j’ai pensé en te lisant : un emplacement au début et un emplacement à la fin, c’est vraiment peu ! surtout si on rajoute les vélos…)
    Par ailleurs, je comprends bien les sentiments qui ont pu t’habiter suite à cette conversation les ayant déjà ressentis moi-même dans une situation plus ou moins similaire et je comprendrais que ça change ton comportement… mais je ne trouverais pas ça juste. Oui tu as le droit de circuler comme tout citoyen et citoyenne et de décider de l’endroit où tu te places, tu es la meilleure juge pour savoir où tu es le mieux et où tu gênes le moins et non, tu n’es pas un simple fauteuil à garer comme un vélo.

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    1. Effectivement en lisant vos différents commentaires je me dis que je m’en fais trop. Mais c’est plus fort que moi … Je vais devoir me blinder un peu si je ne veux pas trop souffrir de ce genre de comportements ! Je te fais un bécot en passant, j’espère que tu vas bien ;)

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  3. « Les fauteuils roulants sont autorisés aux emplacements réservés à cet effet et sont prioritaires. »
    je comprends que tu peux te mettre aux emplacements réservés et ces emplacements te sont prioritaires, mais je ne lis en aucun cas que c’est une obligation!! Pour preuve, si tu as été contrôlée ailleurs et non verbalisée, c’est bien que tu restes dans ton bon droit et libre choix! et j’ai envie de rajouter: et heureusement encore! pourquoi qu’on t’imposerait une place ? les « valides » peuvent bien se poser où bon leur semble, même aux places dites réservées si personne de prioritaire ne s’y présente!!
    « Si la place est libre, il est préférable de prendre cette place. Si elle est déjà occupée par un fauteuil roulant, vous pourrez vous placer ailleurs, dans la mesure où vous ne gênez pas le passage. » c’est bien écrit PREFERABLE, et pas obligatoire!
    Personne ne choisit d’être en situation de handicap, je ne vois pas de quel droit une personne réputée valide a le droit (et le manque de respect qu’elle doit à TOUTE personne!) de t’enguirlander juste parce que tu vis et fais les choix les plus pratiques pour toi, et surtout par commodité et non pas caprice!! t’es tombée sur une connasse et puis c’est tout. Oublie-là!

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  4. En te lisant, je me disais que le self-contrôle dont tu as fait preuve et les arguments que tu as opposés sans faiblir à cette personne sont pour moi autant de preuves supplémentaires de ta force vitale et intérieure :) Que tu te soies sentie bouleversée par l’attitude de cette femme est bien compréhensible, la violence verbale est une agression bien réelle. Quand en plus – au delà du fait même- cette violence vient heurter comme tu l’expliques des valeurs personnelles qui nous sont chères (modération, civisme, respect) cela fait vaciller et touche en nous des choses profondes, tu as raison. Mais en écrivant ce que tu vis ici, tu aides à faire avancer les choses : souvent, je partage tes billets avec mes enfants, en espérant qu’ils relaieront à leur tour ce que tu dis de l’importance d’apprendre à vivre tous ensemble avec empathie et respect. Que la force soit avec toi ! :))

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  5. Avoir sa place, se sentir à sa place, être accepté avec sa différence. J’ai l’impression que cette dame et toi avaient ces problématiques en commun. Oui, nous les handicapés on se croit tout permis car on estime avoir les mêmes droits que les autres

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